Chongqing était une petite ville enclavée dans la montagne, perdue dans la brume. Elle est née du confluent des fleuves Yangtze et Jianling, et des dizaines de ports sur leurs rives. Elle a commencé son développement plus tard que la côte Est, mais elle l’a rattrapé. Elle était habitée par à peine plus d’un million de personnes, il y en a maintenant prés de quinze. La plupart des gens vivaient dans des vieilles maisons en bois ou de petits immeubles en brique, il faut désormais parcourir en métro des dizaines de kilomètres de tours en béton pour rentrer chez soi le soir. Chongqing est sans doute un cas unique de développement dans l’Histoire, de part sa vitesse et son ampleur.
Elle a commencé son prodigieux développement dans les années 90 en traçant des routes. Les voitures l’ont envahie, permettant de concentrer les activités fluviales en un seul port, gigantesque, en dehors de la ville. Les tours ont poussé dans tous les sens, l’expansion du tertiaire a recomposé de nouveaux centres, loin des fleuves. La ville ancienne a disparue. Chongqing avait vécu par les fleuves, elle s’en est coupée.
Il existe désormais une Chine développée, ses standards rattrapent ceux de l’Ouest. Les gens sont happés par le tourbillon de la ville moderne, et ils en veulent encore plus. Ils vivent dans des appartements neufs et conduisent des berlines. Ils passent souvent leur dimanches à se balader dans les shopping malls. Ils dévalisent les magasins Nike et H&M, se délectent de brochette de poulet et de glace Hagen Daz, vont voir des films en 3D. Les classes ne sont pas tout à fait moyennes, mais obstinément modernes. Et, quand les beaux jours reviennent, ils aiment allez là où les sentiers ne sont pas encore battus.
L’hiver à Chongqing n’est pas vraiment froid, juste un peu triste. De temps en temps, la brume laisse glisser quelques goutes. Comme toute la Chine, la ville s’arrête de tourner une dizaine de jours en février, pour le nouvel an. Puis la vie reprend. Le printemps s’installe. Toute la semaine, les gens sont au travail, les journées sont lourdes. Les loisirs se limitent à des parties de jeux vidéos pendant les heures passées dans le métro. Puis à quelques émissions de télévision avant d’aller dormir. Ils n’ont souvent pas le temps de s’occuper de leurs enfants. Ils les laissent à leurs parents, qui habitent parfois à l’autre bout de la ville, vraiment loin. Ils les récupèrent le week end. Qu’ils atteignent assommés.
Au mois de mars, le niveau des fleuves baisse. Jour après jour, les rives conquièrent du terrain sur les eaux. Des îlots se forment. De nouvelles terres apparaissent. Elles s’offrent aux explorateurs, pour quelques semaines à peine jusqu’à la remonté des eaux. Sur le bord du fleuve Jiangling, par exemple, à Ciqikou, il y a cette plage qui émerge tous les ans sous une route dont la construction a été interrompue il y a dix ans. C’est en plein milieu de Chongqing, mais là, la mégalopole n’est qu’une silhouette. Un havre de quiétude au cœur du chaos du développement. Un jour, quelqu’un a eu l’idée d’y planter un parasol. De mettre quelques chaises, des tables. De vendre du thé et des jeux de cartes. Et les gens sont venus. La vie moderne en Chine se résume presque à gagner de l’argent et le dépenser. Il n’y a pas grand chose d’autre à faire que travailler, manger et consommer. Aller à la pèche. Se marier, faire un enfant et, les dimanches, du cerf-volant. Le modèle écrasant de la « vie stable » rassure, mais génère aussi de l’ennui. Et, les dimanches de printemps, la plage de Ciqikou est une jolie manière de tromper cet ennui.